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Les poissons, une nouvelle source d’énergie électrique

Les animaux vertébrés aquatiques munis de nageoires et de branchies qui peuplent les rivières, les fleuves, les mers et les océans ne seraient pas qu’une source de nourriture. Ils pourraient également être utilisés comme de véritables générateurs d’énergie. Deux physiciens indiens ont démontré que 4 écailles, issues de déchets de poisson, seraient capables d’allumer plus de 50 LED. Au Japon et aux États-Unis, des scientifiques se sont inspirés de l’anguille électrique et du poisson torpille pour produire du courant. Les énergies d’avenir seront-elles en partie d’origine ichtyologique ?

Des écailles transformées en nanogénérateurs

Jusqu’il y a peu, créer des générateurs électriques à partir d’énergies biologiques nécessitait des processus très chers et pas toujours efficaces. En 2016, Sujoy Kumar Ghosh et Dipankar Mandal de l’université Jadavpur, à Calcutta (Inde), ont découvert un procédé naturel et peu coûteux : les écailles de poisson ! Celles-ci contiennent en effet des millions de fibres de collagène, une protéine formée de chaînes d’acides animés chargés électriquement qui s’enchevêtrent et réagissent aux vibrations. Une fois préparées, ces nanofibres ont des propriétés piézoélectriques : elles produisent du courant électrique lorsqu’elles se déforment sous l’effet du bruit, du vent ou d’un mouvement.

Dans un premier temps, les deux chercheurs ont déminéralisé grâce à des solvants des écailles de catla – l’équivalent indien de la carpe – récupérées dans un atelier de préparation pour les rendre transparentes et ainsi amplifier l’électricité produite lorsque les fibres de collagène sont soumises à pression. Ils ont ensuite exploité l’énergie produite en appliquant, sur chaque face de l’écaille, de petites électrodes en or, recouvertes de polypropylène. D’après leurs mesures, une écaille peut émettre jusqu’à 4 volts et fournir un débit de 1,5 micro-ampère (mA). Assemblées en série, 4 écailles produisent une tension de 14 V. Même s’ils en sont encore au stade expérimental, ces nanogénérateurs biocompatibles pourraient être utiles dans le secteur médical. Ils offrent en effet la possibilité de recharger des appareils électroniques implantables dans le corps comme les stimulateurs cardiaques. De plus, comme le collagène est présent chez tous les êtres vivants, il n’y a pas de risque de rejet.

De l’anguille électrique…

Les anguilles électriques, des poissons d’eau douce d’Amérique du Sud, sont capables d’envoyer des décharges d’une tension allant de 50 millivolts à 860 volts. Une seule d’entre elles peut paralyser un cheval ou même tuer un être humain. Ce phénomène s’explique par la présence dans le corps de ces poissons d’électrocytes. Ces longues et fines cellules, disposées en série, génèrent des courants électriques par un jeu de transfert d’ions positifs et négatifs entre les milieux intérieur et extérieur. Lorsque l’animal provoque une décharge, un stimulus nerveux commande l’ouverture de canaux membranaires : des ions de sodium chargés positivement pénètrent d’un côté de la cellule pendant que des ions de potassium chargés négativement sont expulsés dans le milieu extracellulaire. Ces tensions augmentent avec le nombre de cellules arrangées en série, permettant à l’anguille d’atteindre plusieurs centaines de volts.

En 2017, une équipe américano-suisse a tenté de reproduire cette particularité de la nature en créant une batterie à base d’hydrogels et constituée de milliers de petits compartiments générateurs d’électricité, comme autant d’électrocytes. Le principe repose sur l’électrodialyse inverse, qui consiste à créer des courants ioniques entre un compartiment d’eau salée et un courant d’eau douce séparés par une membrane laissant préférentiellement passer les ions négatifs ou positifs de l’eau salée vers l’eau douce. Comme chez l’anguille, ces petits compartiments sont juxtaposés en très grand nombre pour obtenir un courant final significatif.    

Cela dit, même s’ils sont encourageants, les résultats sont encore loin d’atteindre les capacités de l’anguille. De plus, contrairement à l’animal à qui il suffit de se nourrir pour « recharger ses batteries », le prototype nécessite encore une alimentation électrique externe, comme un accumulateur conventionnel.

…au poisson torpille

Au Japon, des scientifiques de l’Institut Riken se sont intéressés à un autre poisson survolté, la torpille, dont l’espèce la plus grande, la torpille noire, peut délivrer des chocs électriques de 60 à 230 volts en dépassant les 30 ampères. Aussi appelé raie électrique ou Torpedo, ce poisson cartilagineux est capable de transformer une énergie chimique stockée sous forme d’ATP (adénosine triphosphate) en énergie électrique grâce à un organe constitué d’électrocytes. L’équipe de recherche a prélevé cet organe, l’a stimulé chimiquement grâce à l’injection d’un neurotransmetteur (l’acétylcholine) et est parvenue à lui faire décharger son électricité. Elle a ainsi obtenu jusqu’à 1,5 V pour 0,64 mA de courant continu pendant plus d’une minute.   

Les chercheurs japonais ont pu reproduire la génération du courant en maintenant l’organe fonctionnel pendant une journée. Ils ont même réussi à produire et stocker une tension de 1,5 V pour une intensité de 0,25 mA. Bien sûr, ce n’est pas grand-chose – juste de quoi allumer une diode – mais les scientifiques espèrent développer dans l’avenir des générateurs hautement performants, fonctionnant à base d’ATP et capables de reproduire artificiellement le procédé de la torpille.         

Last modified: November 2, 2020

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